Les réactions contre la religion établie prennent des formes multiples, qui peuvent aller jusqu’à l’apostasie et l’athéisme. Les courants gnostiques et manichéens ont été des courants subversifs, allant à l’encontre des Églises établies.
Les Églises syriaques considérées comme non orthodoxes par l’Église byzantine illustrent elles aussi la transgression des définitions officielles du christianisme de l’empire romain. La transgression des normes établies est également une caractéristique commune des mouvements shi‘ites, qui généralement emploient l’exégèse ésotérique du Coran comme un outil de dissociation à l’égard de l’islam sunnite, ou de penseurs shi‘ites l’utilisant pour rénover ou renouveler leur propre tradition. Le soufisme poursuit souvent un but analogue, en essayant de donner plus de profondeur et de sens à une religion qui risque de devenir purement légaliste.
LA QUESTION DU MODERNISME RELIGIEUX EN ISLAM
Une forme particulière d’innovation en matière religieuse est le modernisme musulman, dont une des figures de proue est Rashid Rida, auquel Rainer Brunner a déjà consacré plusieurs études. Avec Constance Arminjon, il développe la question du modernisme religieux en islam sous l’angle du développement du droit (y-inclus le droit public), les relations confessionnelles au sein de l’islam, ainsi que l’origine et l’évolution de la salafiyya. Pour situer ces développements dans leur contexte, il projette avec Stefan Reichmuth (Université de Bochum) un livre sur l’histoire du monde islamique entre le XVIe et le XIXe siècle, qui propose de donner une vue d’ensemble du développement historique et intellectuel des pays musulmans.
LA DIMENSION POLITIQUE DE L’ISLAM SHI‘ITE : SOUVERAINETE DIVINE ET HUMAINE
Les théories shi‘ites sur la guidance et la direction, avec leurs implications politiques, sont elles aussi des formes de subversion, par rapport à l’islam sunnite certes, mais également à l’intérieur de la communauté shi‘ite, surtout si le shi‘isme est devenu religion d’État comme c’est le cas en Iran safavide et si la critique émane de philosophes qui entretiennent avec le pouvoir politique et religieux des rapports ambigus. Ayant étudié les diverses constitutions métaphysiques des doctrines religieuses de la souveraineté divine et humaine dans la période majeure de la philosophie imamite moderne (XVIIe siècle), Christian Jambet a approfondi ses recherches sur le concept de la direction ou guidance. Plus précisément, il cherche à identifier et à décrire les raisons qui font que le philosophe exige un guide, devient lui-même un guide ou démontre la nécessité du guide.
L’ÂME HUMAINE ET LES « SAVOIR-VIVRE » EN MYSTIQUE MUSULMANE
La mystique musulmane, tout en se disant profondément sunnite, a été dès ses origines marquée par une attitude équivoque envers les normes et les doctrines de la religion établie. Tel est le cas pour les questions relatives à l’eschatologie dans la littérature mystique sunnite ancienne, une thématique explorée par Pierre Lory. Il s’agit de cerner précisément l’évolution de l’emploi des notions désignant l’âme humaine (nafs, rûh, etc) ; comment celles-ci sont mises en rapport avec les pratiques d’ascèse concrètes. S’y ajoute la survie des hommes après la mort, avec le développement de la littérature des hadiths sur ce sujet, et le rôle de la dimension intermédiaire dite du barzakh, des rapports oniriques et visionnaires avec les défunts. Enfin, l’état des ressuscités, la nature des corps de résurrection, la temporalité de l’au-delà sont abordées à travers les traités de soufisme ancien. Le but est de montrer comment les mystiques de cette époque, tout en se réclamant bien haut et certainement sincèrement de l’orthodoxie sunnite, développent une conception originale de la temporalité, où le « maintenant », le « à venir » et le « déjà là » s’entrecroisent dans un discours volontairement équivoque.
1. celui dû à Dieu (attitude intérieure, pratiques spirituelles obli-gatoires et surérogatoires, « piliers » de la foi) ;
2. celui qui régit les relations sociales (famille, confrérie, rapports avec le maître, entourage proche et lointain, société, pouvoir et argent) ;
3. celui que l’on doit observer envers soi-même (« examen de conscience », stations et états, modes de vie et de cheminement, attitudes face à l’adversité, la maladie ou la mort).
L’APOSTASIE ET LES RELATIONS ISLAMO-CHRÉTIENNES
Christian Décobert a étudié la question de l’apostasie aux XIIIe-XVe siècles. Les accusations et procès en apostasie (touchant généralement des néo-convertis à l’islam) étaient souvent liés à des actes de violence anti-chrétiennes, en grand nombre durant ces quelque trois siècles. Il s’agissait de comprendre ce phénomène dans le contexte historique, sociologique et religieux de l’époque.